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Le blog d'Emmanuelle

Je vais mourir... vive la vie !

5 Février 2014 Publié dans #Détente, #Un nouveau monde en marche

Une nuit, à la Grillère, comme je venais de me coucher dans un vaste lit campagnard, l'angoisse fondit sur moi; il m'était arrivé d'avoir peur de la mort jusqu'aux larmes, jusqu'aux cris; mais cette fois c'était pire : déjà la vie avait basculé dans le néant : rien n'était rien, sinon ici, en cet instant, une épouvante, si violente que j'hésitai à aller frapper à la porte de ma mère, à me prétendre malade, pour entendre des voix. Je finis par m'endormir, mais je gardai de cette crise un souvenir terrifié.

Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 272

Vous arrive-t-il à vous aussi d'avoir d'un coup une prise de conscience aigüe de votre finitude ?

Quand j'étais gamine, je me souviens que c'était une question que je posais souvent à mes copines :

- "Tu as peur de la mort toi ?"

- "Oui", on me répondait systématiquement. "Et toi ?"

- "Non, moi je n'en ai pas peur", je disais fièrement.

Et c'était vrai.

En grandissant, ma mort est devenu quelque chose que je garde en tête, comme en arrière-plan. C'est une chose de savoir, vaguement, qu'on est mortel. C'en est une autre d'en avoir pleinement conscience et d'en prendre acte. Il ne faut pas croire que je vis dans le morbide, au contraire. J'ai simplement conscience que je ne suis pas éternelle, qu'un jour je vais mourir et que ce monde continuera sans moi, comme il a tourné sans moi depuis la nuit des temps. Et qu'il faut bien que je l'accepte, parce qu'à quoi bon le nier ? Bien sûr de temps en temps ça me fait peur et je chasse vite cette idée de ma tête. Mais le plus souvent, je trouve qu'au contraire ça m'aide à profiter au mieux de la vie, à être humble (en tout cas à essayer de l'être) et à avoir de la compassion pour autrui. Je m'explique.

Sachant que je vais mourir un jour, je me dis que tant que j'ai la chance incroyable d'être vivante, il faut que j'en profite. Pas pour faire n'importe quoi mais pour faire d'ores et déjà ce qui me semble essentiel, sans attendre d'éventuels lendemains qui chanteraient. Ce qui ne m'empêche pas de me battre pour un monde meilleur car j'ai encore de longues années à vivre, pour mes futurs enfants, pour les autres et parce que j'ai une sorte d'instinct à protéger la vie que beaucoup d'entre vous doivent sûrement avoir aussi.

Sachant que je vais mourir un jour, je me dis que rien de ce que je fais n'a vraiment d'importance à long terme. Qu'il est complètement inutile d'avoir un égo boursoufflé, puisque de toute façon je vais finir par disparaître. Aussi, je peux me contenter de faire de mon mieux tant que je vivrai pour que ma vie et celle des personnes autour de moi se passent au mieux.

Sachant que je vais mourir un jour mais que tel est le destin de chaque être vivant, je considère que ça nous met toutes et tous dans le même bateau. Et tous les égoïsmes, toutes les vanités, ne sont à mes yeux que des tentatives désespérées de se donner une importance maximale aux yeux des autres parce qu'on ne supporte pas l'idée d'être mortel-le. Ça m'aide à avoir de la compassion au lieu de la haine pour certains.

J'en viens à un constat sur la société occidentale actuelle : elle nie la mort. Et c'est peut-être un nœud crucial permettant d'expliquer notre comportement destructeur. Dans notre société, la vieillesse doit être cachée, dissimulée. De même pour la maladie. On utilise mille artifices pour paraître jeune et en bonne santé, même quand ce n'est plus le cas. Dans nos environnements artificiels plastifiés et aseptisés, on a l'illusion que l'on contrôle tout, que l'on ne peut pas mourir. Tout ce qui peut ramener l'être humain à sa condition d'animal est repoussé avec horreur. La nature oui, mais en 4x4 climatisé, il ne faudrait quand même pas qu'on perde le contrôle. La femme, symbole de la vie, longtemps vénérée par d'autres peuples, est considérée avec mépris. Tandis que l'homme puissant, l'homme capable de tuer – et qui ne s'en prive pas – est un héros.

Pourtant, on a beau la refouler au plus profond de nous-même, elle est là cette angoisse ancestrale, cette peur de la mort. Elle nous terrifie, au point que nous ne pouvons presque plus être seul en silence, parce que cette trouille commence à pointer son nez. Alors vite, de la musique, la télévision, quelque chose pour combler ce vide existentiel, pour oublier ce fait insupportable : un jour je vais mourir. Non, pas moi, ce n'est pas possible, je sais bien que je ne cesserai jamais de respirer, de voir, d'entendre, d'agir... Ou alors si, je le sais, j'en ai conscience et j'en profite pour jouir maintenant de tout, sans limite, au maximum, tant pis pour les autres, tant pis pour après, seul compte moi et mes quelques décennies qui me restent à vivre.

Je trouve fou que nous ne parlions pas de la mort. Que ce ne soit pas un sujet dont on discute depuis le plus jeune âge, qu'on n'apprenne pas ensemble comment gérer cette réalité tout au long de notre vie. Pour calmer cette angoisse, ou cette frénésie, pour vivre de manière apaisée. Ne pas nier l'idée de notre mort mais en faire une sagesse. Pour que nos vies retrouvent du sens, que l'on cesse cette pathétique compétition de chacun contre tous, que l'on se reconnaisse comme mortels et qu'on s'entraide pour vivre tous au mieux tant qu'on le peut.

Ces réflexions demandent à être largement approfondies, d'aborder notamment la question de la religion, de l'athéisme. Des autres cultures. Par exemple, à l'Ouest du Cameroun, les funérailles sont l'occasion de grandes fêtes qui durent plusieurs jours avec tout le village, de larges banderoles annoncent les défunts et c'est une occasion de danses, de chants et de grands repas. La mort n'est absolument pas niée, elle est célébrée. Et je ne connais pas de peuple ayant plus de joie de vivre que les camerounais. Coïncidence ?

Source : http://www.birdsdessines.fr/tag/mort-humour-noir/

Source : http://www.birdsdessines.fr/tag/mort-humour-noir/

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